Δευτέρα 18 Ιουλίου 2011

"L'UE devrait enquêter sur l'irrationnalité des agences de notation"


Coulisses de Bruxelles,

vendredi 15 juillet 2011

"L'UE devrait enquêter sur l'irrationnalité des agences de notation"

Haro sur les agences de notation : en dégradant le 6 juillet de trois crans la note de la dette publique portugaise, la classant parmi les investissements « pourris », au même titre que la Grèce, l’agence américaine Moody’s a rallumé l’incendie qui ravage la zone euro depuis janvier 2010, incendie qui menace de s’étendre à l’Italie et à l’Espagne. D’autant que Moody’s considère depuis le 13 juillet que la dette est « spéculative » et que Fitch a le même jour abaissé la note grecque de trois crans, soit la dette la moins bien notée du monde. Refusant de s’arrêter en si bon chemin, les trois grandes agences de notation s’attaquent désormais à la dette américaine considérée jusque-là comme l’investissement le plus sûr au monde en menaçant de lui faire perdre son triple A, la note la plus élevée.

Elles ont manifestement franchi un pas de trop : toutes les autorités publiques, des États à la Banque centrale européenne, en passant par le FMI ou l’OCDE les accusent d’aggraver la crise : « ce n’est pas vrai qu’elles transmettent des informations : elles expriment des jugements entraînant une accélération de tendances déjà à l’œuvre », a ainsi estimé Pier Carlo Padoan, le secrétaire général adjoint de l’OCDE. Viviane Reding, la commissaire européenne chargée de la justice, a même menacé les agences de « démantèlement ». Pour Nicolas Petit, professeur de droit à l’Université de Liège (nicolas.petit@ulg.ac.be), la Commission a les moyens d’agir contre ces agences qui, selon lui, violent le droit européen de la concurrence.


Jean-Claude Trichet, le président de la BCE, et Wolfgang Schäuble, le ministre allemand des Finances, veulent briser « l’oligopole des agences de notation ». Cet oligopole est-il contraire au droit européen de la concurrence ?

R : La structure du marché des agences de notation est clairement oligopolistique puisque trois voire deux opérateurs [Moody’s et Standard & Poor’s, Fitch occupant une place plus marginale, nda] dominent entre 80 et 95 % de ce marché. On pourrait même la qualifier de monopole ou en tout cas de monopoles juxtaposés puisque chacune de ces agences sert la totalité du marché, chaque agence fournissant toutes les institutions financières, ou presque. Mais le droit européen n’interdit pas les oligopoles en tant que tels. Il n’intervient que s’il y a des dysfonctionnements de marché. Par exemple, s’il y a une collusion explicite ou tacite entre les agences pour baisser la note d’un pays. Ou encore, s’il y a un abus de position dominante individuelle ou collective, une notion qui n’est pas clairement définie ce qui permet aux autorités de concurrence de se montrer très créatives.

Le marché fonctionne-t-il normalement ?

Le marché des agences fonctionne essentiellement sur la réputation. C’est la qualité de leurs analyses et la rapidité de leurs notations qui constitue le nerf de la guerre. Or en 2007, avec la crise des subprimes, leur crédibilité a beaucoup souffert puisqu’elles n’ont rien vu venir : de nombreux dérivés de crédits étaient ainsi notés triple A à la veille de leur effondrement. Depuis, la dynamique de marché s’est inversée : les agences, pour rétablir leur réputation, sont devenues assez conservatrices dans leurs prédictions et très dures dans leur notation. Surtout, elles se montrent incroyablement anticipatives, alors que la prédiction, même à court terme, est un exercice périlleux surtout dans des situations d’informations très imparfaites. On est donc passé d’un paradigme à un autre, de la surenchère optimiste à la surenchère pessimiste.

Avec quelles conséquences?

Le problème est que ces dysfonctionnements, on pourrait parler d’erreurs, ne sont pas sanctionnés par le marché comme ils le seraient dans un marché parfaitement concurrentiel : la structure d’oligopole étroit fait que les investisseurs n’ont pas d’autre choix que de s’en remettre aux trois grandes agences.

Or, les décisions des agences fonctionnent comme des prophéties autoréalistarices : les marchés, nerveux, surréagissent, ce qui étrangle les pays dégradés et les pousse davantage chaque jour vers le défaut, ce qui donne raison aux agences… Surtout, dans un scénario, en dégradant la note des États, on pousse des établissements financiers trop exposés à la dette publique de ces pays à essuyer de lourdes pertes. Outre le désavantage concurrentiel qui en résulte, leur viabilité économique pourrait être menacée. De nouveau ressurgit le spectre d’une concentration accrue du secteur bancaire et financier avec la disparition de certaines banques et assurances comme on l’a vu après 2007. On ne peut d’ailleurs pas exclure que des ententes existent entre les agences — qui sont proche des intérêts des banques et des États-Unis — et des établissements financiers peu exposés à la dette souveraine afin de porter préjudice à des institutions très exposées à la dette publique ou plus généralement aux marchés européens… Autrement dit, les agences sont en train de créer, volontairement ou non, un sérieux problème de concurrence sur le marché bancaire.

Il est curieux que les agences notent toujours de la même façon, et ce, à quelques jours d’intervalles.


On observe ce parallélisme de comportement sur les marchés oligopolistiques très concentrés. Cela peut résulter soit d’une entente explicite, mais ce n’est pas l’hypothèse la plus probable, soit d’une dynamique d’alignement : on fait la même chose que son voisin pour éviter de perdre des parts de marché en émettant une prédiction différente, car cela risque de gêner les clients. Le premier qui dégrade a raison.

Pourquoi la Commission européenne n’a-t-elle toujours pas ouvert une enquête ?

C’est une décision très politique qui nécessite un peu de courage, d’autant qu’elle aura des conséquences sur les relations transatlantiques, les agences de notations étant principalement américaines. Mais, comme le droit de la concurrence est une compétence exclusive de l’Union, la Commission peut agir sans demander l’accord des États membres. Elle peut ouvrir une enquête lorsqu’elle soupçonne des restrictions de concurrence sur certains marchés. Or ici, les ingrédients sont a priori réunis : les autorités de concurrence seraient bien inspirées de s’intéresser au comportement irrationnel de l’oligopole des agences de notation.

Pourquoi la Commission reste-t-elle l’arme aux pieds ?

Le fait que les agences puissent occasionner des dysfonctionnements concurrentiels sur le marché n’était pas très clair jusqu’à présent. Mais, depuis quelques semaines, la crise de la zone euro est entrée dans une nouvelle dimension : il devient donc urgent de prendre des mesures de régulation et la politique de concurrence est l’un des moyens de régulation.

Quels types de mesures peut prendre la Commission si elle estime qu’il y a un abus de position dominante ou une entente ?

Elle a les moyens d’imposer des mesures structurelles ou comportementales. Par exemple, une révision des méthodologies employées. Elle peut aussi imposer aux agences de suspendre ou de retarder leurs prédictions lorsque les États sont sous assistance financière, les obliger à reconnaître publiquement leurs erreurs (« shaming »), instaurer des échelles de notation plus large, créer un instrument d’évaluation de la qualité des notations ou, in fine, demander à certaines de ces agences de permettre à de nouveaux entrants de s’installer sur le marché via des désinvestissements et la mise à disposition de leurs informations. La seule limite à ces remèdes, c’est la créativité.

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